La semaine touchait à sa fin, mais avant d’attaquer le week-end, j’avais rendez-vous avec l’une des lycéenne à qui je dispensais des cours particuliers pour me faire un peu d’argent en attendant de trouver quelque chose de plus pérenne. Aimant apprendre, je trouvais une certaine satisfaction à pouvoir partager mes connaissances et puis, c’était agréable de les voir se réjouir de leur progrès. Passant à la supérette du coin, histoire de faire quelques emplettes pour la fin de semaine, je saisissais mon téléphone en attendant mon tour à la caisse. Tapotant sur mon clavier, je proposais à Marah de nous rejoindre au salon de thé de Beacon Hills. C’était un peu mon endroit de prédilection, mon objectif était simple, explorer toute l’étendue de leur carte pour découvrir de nouvelles saveurs et de nouvelles vertus thérapeutiques. Glissant mon téléphone dans la poche arrière de mon jean, je saluais poliment la caissière lui adressant un radieux sourire. Mes quelques achats fourrés dans le fond de mon sac en toile, je récupérais ma monnaie avant de quitter les lieux. Ces quelques pièces tombaient bien, j’avais pile assez pour le ticket de bus. M’installant à la première place libre, je ressortais mon téléphone pour lire la confirmation de la jeune Evans. À vrai dire, même si elle avait refusé, j’aurais certainement fait une petite halte là-bas avant de rentrer. Sans réponse de sa part, je descendais tout de même à l’arrêt prévu avant de pianoter à nouveau sur mon écran pour lui préciser que j’y serais d’ici une petite dizaine de minutes, au moins, elle saurait où me rejoindre, si elle était disponible. Flânant un peu dans les rues, me donnant pour défi sur le trajet de reconnaître les quelques arbres qui se dressant au bord des trottoirs, j’atteignais finalement mon but. Installée à la table où j’avais pris l’habitude de m’asseoir depuis le peu de temps que j’étais en ville, la serveuse me saluant. Échangeant quelques politesses avec la demoiselle qui m’avait servi plus d’une fois, je commandais l’une des tisanes que je n’avais pas encore essayé, poursuivant ainsi mon objectif. Sortant mon ordinateur du sac que j’utilisais pour les cours à l’université, je l’ouvrais, histoire de m’occuper en attendant ma commande et la jeune lycéenne. Outre le fait que je lui avais dispensé quelques cours avant un examen de sciences important et que j’avais hâte de savoir comment il s’était déroulé, j’appréciais également la compagnie de la jeune louve. Il n’était donc pas rare que je lui propose de passer un peu de temps ensemble sans forcément qu’elle ait besoin de mes services. Facile de contact, j’avais une certaine aisance à créer du lien, même si derrière mes sourires polis et mon oreille attentive, je restais toujours méfiante, consciente qu’on ne connaissait jamais vraiment les gens qui nous entouraient. Et cette méfiance avait grandi depuis que je connaissais l’existence du surnaturel, probablement à raison d'ailleurs...

Vendredi soir. Si la majorité des lycéens de Beacon Hills planifiait leur sortie de la soirée à ce moment de la journée, Marah avait attrapé ses livres de cours et s’était dirigé vers le salon de thé de la ville. Elle avait reçu un texto de la part de Lejla Nygård, l’étudiante en médecine à l’université de Beacon Hills qui lui donnait des cours de rattrapage. Lejla était sans doute la mieux placée pour aider la petite blonde avec ses soucis de cours. Elle était douée dans toutes les matières ou Marah avait des difficultés et surtout, elle expliquait vraiment bien. C’était surtout les domaines scientifiques et mathématiques qui donnaient du fil à retordre à l’adolescente. Après tout, elle voulait devenir journaliste et était beaucoup plus à l’aise avec les gens et les mots qu’avec les calculs ou les sciences. L’aide de Lejla n’était donc pas de refus. Mais il arrivait aussi que les deux filles se côtoient pour le plaisir, simplement pour discuter. Lejla était facile d’approche, ce qui faisait d’ailleurs plaisir à Marah, qui avait moins d’efforts à faire qu’avec les jeunes du lycée, dont la majorité était soit hautains, soit renfermés. Elle n’avait d'ailleurs pas revue Lejla depuis les derniers examens et il lui tardait de lui partager la situation. Elle avait donc parcouru le chemin à pieds, s’excusant auprès de ses amis de ne pouvoir aller se préparer avec eux pour la petite fête que donnait un des gars de l’équipe de lacrosse pour célébrer on ne savait trop quelle occasion. Sa mère et surtout Max seraient furieux si elle échouait encore un cours, mais en plus, Marah ressentait le besoin de s’éloigner un peu de ses amis. La prochaine pleine lune approchait et elle ne devait pas créer une coupure trop drastique, sinon les gens se poseraient des questions. Mais surtout, elle avait hâte de discuter avec l’étudiante universitaire. Perdue dans ses pensées et dans les conversations, elle avait cependant oublié de répondre à la rouquine. Elle ne s’en aperçut que lorsque le salon de thé fut devant elle. Elle éclata d'un rire nerveux, espérant que ça ne dérangerait pas trop. Elle poussa alors la porte du salon. Les odeurs de thé étaient enivrantes, mais une autre odeur, un peu plus étrange celle-là, qu’elle n’arrivait pas à identifier, se mélangeait aux effluves des boissons chaudes. Une odeur qui n’aurait pas dû être là, elle le sentait dans ses tripes. Mais elle n’arrivait pas à dire de quoi il s’agissait. Voyant la tête rousse connue, assise à une table, Marah balaya rapidement les doutes de son esprit et se dirigea vers la table, tout sourire. « Lej ! Désolée pour le retard, j’espère que tu ne m’as pas trop attendue ! » Elle prit place sur la chaise en face et sourit. La serveuse passa alors déposer la commande de Lejla et Marah en profita pour passer la sienne. Un classique thé vert glacé. Elle était friande de boissons froides, sans pouvoir expliquer pourquoi. « Alors, tu testes quoi aujourd’hui ? » demanda-t’elle en regardant la théière posée sur la table. Marah connaissait l’amour de Lejla pour le thé et si elle avait toujours la même commande, elle savait que l’étudiante changeait constamment, sans habitude. Puis, déposant son sac sous la chaise, elle attendit d’avoir la réponse de la rouquine. Elle lui parlerait de l’examen par la suite. C’était bien ça la politesse, non ?

Roman à la main, j’attendais ma tasse de thé et mon amie. Je n’avais pas eu le temps de beaucoup progresser dans ma lecture en attendant Marah. Sourire aux lèvres, elle apparaissait devant moi et sa voix venait m’extirper de ma lecture. « Je n’ai même pas eu le temps de finir ma page. », la rassurai-je en lui rendant son sourire. Je fermais le livre avant de le déposer sur un coin de la table. L’adolescente s’installait et la serveuse arrivait quasiment en même temps. La louve en profitait pour passer la sienne avant d’engager la conversation. Jetant un œil dans le fond de ma tasse pour observer la couleur du liquide, je mettais un point d’honneur à tenter toutes les boissons de la carte. « Aujourd’hui, on est sur un thé vert parfum rose, jasmin et violette ! », annonçais-je en relevant mon regard vers elle. « Un mélange qui s’annonce prometteur. », ajoutais-je avant de venir tapoter mes mains doucement l’une contre l’autre pour mimer la hâte. « Plus traditionnel pour toi. », lançais-je en faisant un signe de la tête en apercevant la serveuse revenir avec sa commande. Sourire poli, je la remerciais à nouveau pour son service efficace avant de me concentrer à nouveau sur la jeune Marah. « Alors, on en est où ? Tu l’as réussi cet examen ? », demandais-je avec intérêt. J’étais un peu impatiente de la réponse. À vrai dire, vu tout le temps, l’énergie et les efforts qu’avait fournis Marah pour s’améliorer, je serais vraiment déçue pour elle si les résultats n’étaient pas concluants. La louve était plus littéraire que scientifique et c’était cette difficulté qui nous avait amenée à nous rencontrer. Mon cursus me donnait quelques facilités là où elle, avait plus de peine à s’en sortir. Alors, pour me faire un peu d’argent, j’avais proposé mon aide aux élèves qui, comme Marah, était un peu largué sur les matières qui, admettons-le n’avait rien de très palpitantes quand on n’y accordait pas ou peu d’intérêt. Soulevant ma théière qui devait avoir, à présent, suffisamment infusé pour remplir ma tasse en attendant sa réponse. « Je veux tous les détails ! », ajoutais-je en finissant de me servir. Relevant le regard vers la demoiselle, je lui adressais un sourire rempli de bienveillance. J’avais réellement envie que Marah est réussie et qu’elle puisse se rendre compte de ses capacités…

Aller voir Lejla avait toujours un petit côté agréable. C’était différent qu’avec les gens de son âge, Lej était plus posée, plus réfléchie. Elle était également plus à l’écoute et apportait un point de vue différent sur bien des éléments que l’adolescente croyait avoir compris. Non seulement par rapport aux cours où elle avait des difficultés, mais également dans la vie en général. Lejla, c’était un peu un modèle de calme, une force paisible, dans ce monde qui tournait trop rapidement. Elle était ces moments où Marah prenait le temps de ralentir. Et juste en entrant dans le café et en voyant son amie, assise à une table, un livre sous le nez, Marah senti cet apaisement, comme une vague de tranquillité qui prenait possession de son corps. Elle avait donc rejoint l’étudiante, un grand sourire aux lèvres. Et bien qu’apaisée, elle n’était pas bien loin de son énergie habituelle. Marah ne put retenir un rire léger. « Avoir su, j’aurais pris plus de temps pour te laisser lire un peu. Je suis désolée de couper court à ton activité si rapidement ! » Puis la louve avait passé rapidement sa commande, laissant les odeurs de celle de Lejla titiller ses narines. L’odeur était agréable, apaisante, à l’image de la présence de la rouquine. Cette pensée tira un nouveau sourire à Marah alors que son interlocutrice lui expliquait quel était le choix du jour.  « Tu me diras il se place à quelle position dans le classement ! » Parce qu’elle était curieuse, Marah, et elle aimait bien savoir quel thé surpassait quel autre, non pas parce qu’elle allait les boire, mais simplement pour assouvir cette soif de connaissance. Et puis, peut-être pourrait-elle faire un article sur son blog à propos du Salon. Cette information ne lui serait alors pas trop trop, elle qui prenait toujours la même chose. « On ne change pas les bonnes habitudes ! » dit-elle à Lejla sur un ton moqueur alors que celle-ci constatait que la commande de la blonde arrivait. Marah remercia rapidement la serveuse et trépigna légèrement sur sa chaise alors que Lejla lui posait la question tant attendue. Cet examen de science. Ce fameux examen de science. Le sourire qui étira les lèvres de la louve parlait pour elle. « J’ai obtenu  un B- ! Bon, c’est pas ce qui pourra me faire entrer dans la Ivy league, mais vu d’où on partait ! » Et puis, de toute manière, Marah ne visait pas une de ces grandes universités de la côte est. Harvard, Yale, Princeton, Brown, toutes ces écoles de renom, ce n’était pas pour elle. Elle était pleinement satisfaite de cette note dans une matière où elle avait peine à passer. « J’ai pas trop compris les questions sur le nucléaire par contre.. Mais la section sur la biologie et l’écologie c’est vraiment bien passée ! Après, je ne sais pas ce que ça va donner pour l’examen final. On dirait que tout est déjà flou dans ma tête. » Après tout, elle avait un mal fou à retenir l’information, et voilà que le prof avait commencé à leur expliquer le balancement d’équation et les réactions en cas d’erreur. Marah était complètement perdue, autant dans le volet chimique que dans le biologique. Mais, elle avait eu une bonne note au dernier examen et c’était ce qui comptait.

La voix de l’adolescente me faisait quitter mon bouquin des yeux, le fermant presque instantanément, un sourire étirait mes lèvres. « J’aurais tout le temps de lire plus tard. Chaque chose en son temps. », lui adressais-je pour la rassurer en entendant ses excuses. Elle n’avait rien interrompu du tout. À vrai dire, je n’avais eu le temps de lire que quelques lignes et ça n’était absolument pas un problème pour moi. Je reprendrai ma lecture ce soir, à la lueur de ma lampe de chevet avec une infusion à la lavande qui m’aiderait à trouver sommeil et tranquillité. Un léger rire s’échappait d’entre mes lèvres. « Je suis assez sceptique sur l’assimilation du jasmin avec d’autres saveurs, mais il ne faut pas mourir idiot. », plaisantais-je avant de commenter avec un radieux sourire sa commande. Lorsqu’on parlait d’habitude, il était certain que le changement n’était pas simple. Mais parfois, sortir de sa zone de confort, ça avait du bon, même si ça n’avait rien d’évident. Curieuse à souhait, j’avais du mal à comprendre cette difficulté, pour moi, le changement et la prise de risque était bien plus intéressant que la routine, mais je pouvais parfaitement saisir que cet état d’esprit n’était pas compatible avec le caractère de tous. Alors, je me contentais de sourire, tentant d’imaginer ce doux sentiment rassurant que devait ressentir les personnes qui, comme Marah, aspirait à rester sur ce qu’elles connaissaient et surtout, qu’elles aimaient. Qu’il s’agisse de thé ou d’autres choses d’ailleurs. Puis, je venais lui poser la question qui me brûlait les lèvres depuis qu’elle était entrée. J’avais tellement hâte de savoir si tous ses efforts avaient été récompensés. Un large sourire vient illuminer mon visage à l’annonce de sa note, une petite pointe de fierté venait briller dans mon regard. « Super ! Félicitations Marah, c’est génial, je savais que t’allais assurer ! », m’exclamais-je avec entrain. « B- », c’était correct. Après tout, on ne lui demandait pas la perfection, simplement de sauver les meubles pour obtenir son année. « T’en fais pas pour ça ! On décortiquera tout ça ensemble en temps voulu. On prendra le temps qu’il faut pour que tu comprennes. », lui assurait d’un ton confiant. Y penser maintenant n’était pas des plus utiles et puis, il ne fallait pas oublier que pour assimiler les informations correctement, il fallait savoir organiser ses plages de travail et de détente et, ainsi, être capable de retenir les informations plus faciles. « En attendant… », poursuivais-je en saisissant la hanse de ma tasse pour la tendre vers l’adolescente. « A ta réussite ! », ajoutais-je en tenant bien droite avec un sourire complice qui venait plisser mes yeux leur donnant un petit air malicieux. Nos contenants s’entrechoquaient et je venais souffler sur le liquide fumant avant d’en prendre une gorgée. « Tu sors ce soir ? », demandais-je en reposant ma tasse dans sa coupelle. « Ça te ferait du bien de souffler un peu après tout ce stress. », précisais-je en venant à nouveau collé mon dos dans le fond de ma chaise. J’étais partisane du principe « un temps pour chaque chose » et il était clair que dans l’instant, le temps n’était pas au travail. C’était un véritable équilibre, que beaucoup peinait à trouver, mais une fois qu’on le tenait, l’apprentissage prenait un tout autre sens …